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Introduction à la question du divorce franco-marocain devant le juge français

Le 26 mars 2020
Introduction à la question du contentieux du divorce franco-marocain devant le juge français.

Après l’indépendance du Maroc, le 18 novembre 1955, les relations ont été maintenues avec la France, notamment par le biais de traités bilatéraux sur des thèmes variés. Dès la fin du protectorat, les traités s’inséraient logiquement dans une volonté de maintenir des relations privilégiées entre les deux États, forts de leur histoire commune. Si à cette époque le maintien des relations représentait également une nécessité dans le processus de transition vers un État indépendant, aujourd’hui c’est pour d’autres raisons que cela s’avère nécessaire.


Une des raisons, est celle de la présence importante de ressortissants marocains et français sur le territoire de chacun des États. En effet, on comptait en 2018, 478 000 nationaux marocains sur le territoire français[1] et à l’inverse le nombre de français au Maroc était estimé à 52 000 en 2015[2]. Si au départ, l’immigration marocaine était essentiellement professionnelle, elle est devenue au fil des années familiale[3]. Cette réalité se devait donc d’être appréhendée dans ces deux ordres juridiques.
 
En effet, lorsque ces nationaux français, marocains ou encore binationaux envisageaient de divorcer, cela venait à intéresser les juridictions françaises à un moment ou un autre de la procédure. Une coordination judiciaire était donc nécessaire. Néanmoins, le rapprochement juridique entre États est par définition difficile et la coordination judiciaire entre la France et le Maroc, n’y fait pas exception.
 
De part et d’autre de la méditerranée, les différences sont nombreuses tant d’un point de vue religieux, politique, culturel, que d’un point de vue social. Le droit ayant pour objet, entre-autres, de régir les relations sociales, ces différences, et il est facile de le comprendre, se ressentent subséquemment dans la sphère juridique. C’est en droit de la famille, notamment avec la question de la dissolution du lien matrimonial que la différence de conception est patente. Cette question en raison des nombreuses difficultés suscitées devant les professionnels du droit, qu’ils soient juges ou avocats, a fait couler beaucoup d’encre.
 
Cette étude, qui n’a pas la prétention d’être exhaustive, sera donc dédiée au contentieux du divorce franco-marocain en France.
L’expression « divorce franco-marocain » englobe en réalité les divorces intervenants entre deux époux marocains résidants en France ou inversement, entre binationaux franco-marocains résidants en France ou au Maroc, ou encore le cas des divorces entre un époux marocain et un époux français résidant dans l’un ou l’autre pays.
 
À ce stade il semble donc opportun de définir succinctement la notion de divorce.
D’après Remy Cabrillac, le divorce est « la dissolution du mariage prononcée judiciairement du vivant des époux. Le divorce peut être demandé par l’un des époux ou par les deux époux pour les causes énoncées par la loi. Le droit français connait quatre types de divorce : le divorce par consentement mutuel, le divorce pour faute, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et le divorce pour acceptation du principe de rupture du mariage »[4]. 


En France, la législation sur le divorce a fait l’objet de nombreux remaniements. En 1816[5], l’indissolubilité du mariage devient la règle, dès lors le divorce est aboli et ne sera rétabli qu’en 1884[6]. Il ne sera néanmoins possible que sur le seul fondement de la faute. 
Ce n’est que le 11 juillet 1975[7] qu’une réforme profonde va avoir lieu en France. Les conditions du divorce tendent alors vers une liberté de rupture du lien matrimonial.
 
S’agissant de la loi marocaine, celle-ci prévoit également plusieurs sortes de divorce révocable et irrévocable ; à savoir le divorce sous contrôle judiciaire (dit aussi répudiation), le divorce judiciaire pour raison de discorde, divorce pour d’autres causes (énoncées par le code de la famille), par consentement mutuel et le divorce moyennant compensation judiciaire (dit aussi par Khôl).
 
En France, si le divorce, comme le mariage est laïc, tel n’est pas le cas au Maroc. En effet, cette institution est fortement imprégnée par le droit musulman. Comme l’a si bien rappelé Edwige Rude-Antoine, les liens entre le droit de la famille marocain et les textes sacrés du Coran sont étroits. C’est d’ailleurs « le souverain lui-même, à l’exclusion de toute autre autorité, qui a la charge suprême d’Amîr al-Muminîn, c’est-à-dire qui est le Commandeur des croyants. Il doit veiller à ce que les principes et les références du droit de la famille cadrent avec les desseins de l’Islam »[8].
 
Comme la définition citée précédemment le laisse transparaître, les types de divorce ne sont pas les mêmes. Une illustration parfaite de cela est celle de la répudiation, un mode de dissolution du mariage soumis à la seule discrétion de l’époux. La répudiation est devenue à ce titre presque iconique, faisant l’objet de débats parfois même virulents. Celle-ci ne peut faire, classiquement, l’objet d’aucune contestation ni par l’épouse, ni même par le juge. Ce dernier sera cantonné alors à la seule organisation de la rupture. 
 
L’importance de la diaspora marocaine en France et les mariages mixtes se multipliant, la question du divorce revêt une importance considérable. Comment divorcer lorsque l’on est marocain résidant en France ? Le divorce peut-il être prononcé sous l’empire de la loi marocaine ou est-ce que la loi française sera applicable ? Si un jugement de divorce a été prononcé au Maroc, est-ce qu’il pourra faire l’objet d’une reconnaissance en France ? Si oui, comment faire ? ... Ces questions dont les réponses ne sont parfois pas évidentes, sont un aperçu de celles auxquelles doivent répondre les professionnels du droit et notamment les avocats.
Tout au long de cette, je tenterais de présenter la démarche qui est suivie pour répondre aux différentes questions qui peuvent se poser à l’occasion d’un divorce franco-marocain.
 
Comme cela a été dit précédemment, de nombreux traités bilatéraux ont été conclu entre la France et le Maroc, dans le but de faciliter les litiges privés transfrontières. Les conventions signées représentent un bousculement des traditions juridiques de chacun des deux états, puisqu’elles mettent en place des règles conflictualistes inspirées des conventions conclues entre les pays occidentaux. Ces conventions prennent également en compte la volonté du gouvernement marocain de maintenir des liens forts avec ses ressortissants, et ce même s’ils sont titulaires d’une autre nationalité. C’est l’assurance pour le gouvernement marocain que le statut personnel de ses nationaux soit préservé, même au-delà de ses frontières.
 
S’agissant de la dissolution du lien matrimonial, deux conventions traitent de la question auxquelles nous nous attarderons par la suite.
La première convention à être conclue presque immédiatement après l’accès à l’indépendance du Maroc, est la Convention d’aide mutuelle judiciaire d’exequatur des jugements et d’extradition en date du 5 octobre 1957. L’exequatur se définie comme « la procédure se déroulant devant le tribunal de grande instance en vue de donner force exécutoire aux jugements rendus à l’étranger »[9]. Cette procédure d’exequatur est primordiale dans le cadre d’un divorce international.
Cette convention a donc pour but de faciliter la circulation des jugements prononcés au Maroc et en France sur le territoire de l’autre État. En effet, rien ne sert d’avoir un jugement étranger s’il ne peut pas produire d’effets dans le pays où il a vocation à recevoir exécution.
Ce texte international sera complété en 1981 par un protocole additionnel en date du 15 décembre. Celui-ci prévoit que les décisions en matière civile et commerciale seront reconnues de plein droit sur le territoire de l’autre État, sous réserve cependant de remplir certaines conditions.
Ainsi, la convention de 1957 complétée par ce protocole vise à répondre à la question de l’accueil d’un jugement étranger dans l’ordre juridique français ou marocain.
 
La seconde convention intervenue quelques années après, est la Convention relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire du 10 août 1981. Cette convention est une conséquence directe de l’augmentation des flux migratoires et est à ce titre l’un des premiers traités bilatéraux signés par la France en matière de statut personnel.
C’est à l’occasion de ce texte, que les États parties se sont entendus sur l’adoption de règles de conflits de lois communes pour la formation du mariage, sa dissolution, les effets en matière d’autorité parentale et d’obligations alimentaires. Pour la France, cette convention apportait alors une réponse à un phénomène qui prenait de plus en plus d’ampleur : l’enlèvement international d’enfant.  
 
Du côté marocain, les négociations pour la conclusion de ce texte sont motivées par la volonté d’assurer à ses ressortissants le maintien de leur statut personnel marocain et cela même s’ils résident en France.
 
C’est la loi de 1975 citée précédemment, portant réforme du mariage qui suscite l’inquiétude du gouvernement marocain. Ce texte législatif introduit une nouveauté, à l’article 310 alinéa 2 du code civil[10]. Cet article met en place en réalité une nouvelle règle de compétence de la loi française, puisque ce dernier retient que dès lors que les époux ont leur domicile en France leur divorce est alors soumis à la loi française. En pratique, cela signifie que deux nationaux marocains résidants en France verront la loi française s’appliquer à leur divorce. Cette conception est contradictoire avec le droit marocain qui s’attache au principe de personnalité des lois, assurant ainsi aux non-musulmans et aux non-marocains l’application de leur loi personnelle. Afin de ne pas contrevenir à cette volonté, la convention va alors garantir l’application de la loi marocaine aux mariages et divorces d’époux marocains résidants en France. Une victoire pour le Maroc !
 
Les deux conventions témoignent donc des efforts fournis par les États afin de réduire les obstacles qui peuvent se dresser devant leurs nationaux respectifs dans le cadre d’une procédure relative au statut de la personne. 
 
Ces textes fournissent aux avocats une première vision des réponses qui pourront être apportées aux clients dans le cadre d’un tel divorce, même si une articulation avec les diverses sources potentiellement applicables est nécessaire.
 

AUTEUR: BOUAGILA Cheinez- Juriste en droit international 

NOTES DE BAS DE PAGE: 

[1] Institut national de la statistique et des études économiques, 2018, Répartition des étrangers par groupe de nationalités en 2018-Données annuelles de 2010 à 2018. Paris : INSEE, 25.06.2019. [En ligne].Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381750
[2] Plus de 84.000 étrangers résident au Maroc, les Français en tête suivis des Sénégalais. HuffPost [en ligne]. 18/12/2017- [Actualisé 16/03/2016]Disponible sur : https://www.huffpostmaghreb.com/2016/03/16/maroc-france-expatries-_n_9476292.html
[3] F. Rueda, « Les conditions d’entrée sur le territoire français des ressortissants du Maghreb spécificités et évolutions », in Les droits maghrébins des personnes et de la famille à l’épreuve du droit français, L’Harmattan, 2009, p. 183. L. Gannagé,
[4] CABRILLAC, Rémy. Dictionnaire du vocabulaire juridique 2014. Paris : LexisNexis, 2014, 521p
[5] Le « poison révolutionnaire » est aboli alors pas la loi dite Banold du 8 mai 1816
[6] Le divorce est rétabli par la loi n° 14 485-Naquet du 27 juillet 1884-parue au Bulletin des lois de la République française
[7] Loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce
[8] Edwige Rude-Antoine, « Le mariage et le divorce dans le Code marocain de la famille. Le nouveau droit à l’égalité entre l’homme et la femme », Droit et cultures, 59 .2010, 43-57
[9] CABRILLAC, Rémy. Dictionnaire du vocabulaire juridique 2014. Paris : LexisNexis, 2014, 521p
[10] Article 309 actuel