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DIVORCE FRANCO-MAROCAIN: La mise en œuvre de la règle de conflit de lois instituée par la Convention franco-marocaine de 1981

Le 17 avril 2020

            Cette convention de 1981 intervient suite à la réforme de 1975 du divorce en droit français. Cette réforme a introduit l’article 310 dans le code civil (devenu aujourd’hui l’article 309) qui est en réalité une règle de conflit de lois unilatérale.
Ce nouvel article est fortement marqué par la volonté de permettre une extension du champ d’application de la loi française en ne laissant qu’une place limitée à la compétence des lois étrangères.
En effet, l’article prévoit que la loi française est compétente si les époux sont de nationalité commune française, ou s’ils ont tous deux leur domicile en France ou enfin si aucune loi étrangère ne se reconnaît compétente.
 
Cette réforme a suscité l'appréhension du gouvernement marocain. Cela s’explique notamment par l’importance qui est accordée au principe de la personnalité des lois, profondément ancré dans les traditions juridiques marocaines, et tout particulièrement en droit de la famille. Dès lors, il est aisé de comprendre que la disposition qui provoqua une inquiétude du côté marocain était celle de l’alinéa 2, qui rend applicable la loi française au divorce entre des époux domiciliés en France et ce, quel que soit leurs nationalités. C’était l’intention même du législateur, motivé par une volonté de favoriser l’intégration de ces derniers[1].
La convention marocaine de 1981 avait donc entre-autres, pour objet de neutraliser l’application de la règle de conflit unilatérale française, afin que les couples marocains ou franco-marocains domiciliés en France, ne se voient pas systématiquement appliquer la loi française en vertu de l’article 310[2].
 
Ainsi, c’est à son article 9 que la convention franco-marocaine prévoit une règle de conflit de loi. Celle-ci énonce, que la «dissolution du mariage est prononcée selon la loi de celui des deux États dont les époux ont tous deux la nationalité à la date de la présentation de la demande.
Si à la date de la présentation de la demande, l’un des époux a la nationalité de l’un des deux États et le second celle de l’autre, la dissolution du mariage est prononcée selon la loi de l’État sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun ».
 
Dès lors, dans l’hypothèse d’un divorce entre deux époux marocains même domiciliés en France, le juge devra mettre en œuvre la loi marocaine. Le droit marocain sera également applicable en cas de divorce entre époux de nationalité différente ayant leur résidence ou dernier domicile commun sur le sol marocain. Il faut noter que la loi marocaine dans les cas où elle est déclarée compétente, devra s’appliquer et ce, même si elle s’avère moins favorable en pratique aux justiciables, comme le rappelle souvent la jurisprudence[3].
S’agissant des couples mixtes, il est intéressant de souligner qu’au Maroc, il n’est fait application de cette convention que dans l’hypothèse où l’époux (ou l’épouse) français n’est pas musulman. Ainsi, par exemple lorsqu'un français ayant épousé une Marocaine est musulman, les tribunaux marocains ne considéreront alors pas le couple comme un couple mixte et c’est donc le droit marocain qui sera appliqué à la dissolution du mariage[4]. 
 
Néanmoins, ce texte est resté silencieux dans l’hypothèse d’un couple de binationaux. Ce sont les juges qui sont alors intervenus pour préciser la solution à adopter.
En présence d’époux binationaux souhaitant divorcer, les juges marocains et français vont affirmer la primauté de la nationalité du for. Cela signifie en pratique, que lorsqu’une juridiction française se voit saisie d’une requête en divorce d’un couple de binationaux franco-marocain, le juge français va retenir la nationalité française du couple pour déclarer la loi française applicable[5]. À l’inverse, lorsqu’un couple de binationaux saisit le juge marocain, c’est la loi marocaine qui va logiquement être appliquée.
 
 
Par exemple, dans le cas d’un divorce d’un couple de binationaux, la loi applicable est différente dans le cas d’une saisine du juge français et du juge marocain. Si un des époux présente en premier lieu une requête devant le juge marocain, c’est sans surprise la loi marocaine qui sera déclarée applicable à leur divorce.
À l’inverse, si l’un des époux saisi le juge français c’est alors la loi française qui devra trouver à s’appliquer. Cet exemple rend compte de la réelle concurrence qui existe entre les différentes juridictions ; favorisant ainsi le phénomène du forum shopping[6].
 
 
Cette précision apportée, il est également possible d’évoquer l’hypothèse d’un époux franco-marocain (qui est donc titulaire à la fois de la nationalité marocaine et à la fois de la nationalité française) marié à un conjoint de nationalité française. En présence d’une telle hypothèse, afin de se voir appliquer la loi française l’époux franco-marocain peut s’adresser aux tribunaux français en se prévalant de sa nationalité française[7] et de celle de son conjoint alors même que le domicile commun est situé au Maroc. Cette situation est également possible dans le cas inverse (un époux franco-marocain et l’autre conjoint est marocain) afin de se voir appliquer la loi marocaine.
 
Ce choix du critère de la nationalité pose logiquement la question du moment de l’appréciation de la nationalité[8]. Il ressort de l’article 9 lui-même, que l’existence de la nationalité est recherchée au moment de la présentation de la demande. Dès lors devant le juge français, cela équivaut en réalité à la date d’introduction de la requête en divorce. De ce fait, tout changement qui interviendrait ultérieurement à cette date n’aura aucune incidence sur le reste de la procédure. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt en date du 12 janvier 2011, à l’occasion duquel elle a censuré l’arrêt de la cour d’appel qui a reconnu comme français un époux alors que ce dernier n’avait acquis la nationalité française qu’après le dépôt de la demande en divorce[9].
 
 
Dans les cas où la loi marocaine devra être appliquée par le juge français, de nouvelles questions se posent. Les premières difficultés auxquels le juge et avant lui les avocats, sont confrontés vont survenir à l’occasion de la recherche de la teneur même d’un droit étranger auquel ils n’ont pas été formés mais en vertu duquel ils devront bel et bien trancher du litige.
 
Depuis l’arrêt Aubin[10] et Itraco[11], la jurisprudence est claire, c’est au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger qu’il incombe d’en rechercher la teneur « soit d’office soit à la demande d’une des parties qui l’invoque », avec « le concours des parties et personnellement s’il y a lieu », afin de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit étranger. La Cour de cassation l’a rappelé à de multiples reprises, ce n’est que confronté à une véritable impossibilité d’établir la teneur du droit marocain, que le juge pourra alors avoir recours subsidiairement à la loi française.
Cependant il faut souligner que la teneur du droit étranger ne consiste pas en un seul texte brut pour lequel le juge devra user de son pouvoir d’interprétation, mais bien au droit applicable dans son ensemble, entendu au sens non pas du seul texte législatif mais également de la jurisprudence et des textes doctrinaux qui peuvent l’entourer.
À l’heure actuelle, la recherche du contenu de la loi marocaine semble facilitée grâce aux différents moyens de communications existants qui pourront être utilisés à bon escient par les praticiens du droit et d’autres part grâce aux liens étroits maintenus entre la France et le Maroc. Le rapport établi par des magistrats français sur le nouveau code de la famille marocain à l’occasion d’un voyage d’étude (qui a eu lieu du 19 au 29 juin 2007)[12] en est la preuve.
 
Cependant ce n’est pas la plus grande difficulté à laquelle peuvent être confrontés tant les parties qui sont les premières touchées par l’issue de l’instance, que les avocats et les juges à qui est confiée la résolution du litige.
Une plus grande difficulté, même si cela demeure à l’appréciation subjective de chacun, intervient lors du refus d’application de la loi marocaine en vertu de l’exception d’ordre public international français.
En effet, les conceptions nationales sont différentes, et chaque État souverain est bien évidemment libre d’organiser son système juridique comme il l’entend. La question du divorce n’en fait pas exception, et représente même un « terrain fertile au jeu de l’exception de l’ordre public »[13].
 
Pour faire face à des conceptions qui auraient pour conséquence de méconnaître trop brutalement les principes fondamentaux de l’ordre juridique français, les juges ont recours à l’exception d’ordre public international afin d’évincer l’application d’une loi étrangère. Cependant, en matière de divorce cette exception est invoquée le plus fréquemment à l’occasion d’une demande de reconnaissance (ou d’opposition à la reconnaissance) en France d’un jugement marocain, et plus particulièrement à l’occasion des décisions de répudiations, qui était avant 2004, une forme de dissolution du lien matrimonial réservé au seul mari.
Il faut noter qu’en 2004, une réforme du code de la famille (Moudawana) est intervenue au Maroc. Depuis lors, de nombreuses formes de divorces sont prévues. Pour rappel, le droit marocain met en place des divorces révocables et irrévocables ; à savoir le divorce sous contrôle judiciaire (dit aussi répudiation), le divorce judiciaire pour raison de discorde, divorce pour d’autres causes (énoncées par le code de la famille), par consentement mutuel et le divorce moyennant compensation judiciaire (dit aussi par Khôl).
Ces divorces peuvent être difficilement compréhensibles par des juristes français. On peut noter qu’à l’occasion d’une telle requête, instinctivement les avocats vont tenter de rapprocher les divorces marocains des divorces français, mais souvent cela n’est pas une bonne solution
Au regard de la jurisprudence, le juge français refusera donc de faire application de la loi marocaine lorsqu’il lui sera demandé de prononcer une répudiation à raison de sa contrariété au principe d’égalité entre époux. La répudiation fait généralement référence dans les esprits à un mode de dissolution du lien matrimonial réservé exclusivement au mari. Néanmoins depuis la réforme de 2004 du code de la famille marocaine, un tel mode est également prévu pour être engagé exclusivement par l’épouse ; le divorce pour discorde.
Pour prendre en compte ce phénomène, la Cour d’appel de Douai dans un arrêt en date du 19 janvier 2012 [14] a donc étendu le rejet de l’application de la loi marocaine à toutes les formes de divorce discriminatoires, qu’elles soient réservées au mari ou à la femme. Dans cet arrêt, la cour d’appel va ainsi modifier le fondement du divorce retenu par les premiers juges, à savoir la faute de l’époux, et prononcer le divorce pour discorde, qui est l’une des seules formes de divorce ouverte indifféremment aux deux époux.
Subséquemment, dès lors que la forme de divorce est réservée à l’un ou à l’autre des époux, le juge français y verra une discrimination et fera jouer l’ordre public international français. L’application de la loi marocaine sera alors écartée et ce en violation de la Convention franco-marocaine. Les époux ont donc tout intérêt à s’entendre un minimum !
 
 
Une fois les difficultés ainsi exposées, de la recherche de la juridiction et de la loi compétentes, résolues, de nouvelles problématiques en cours d’instance peuvent voir le jour. En effet, dans le cadre d’un divorce international, il n’est pas rare qu’une des parties ait recours à l’invocation de moyens procéduraux, entraînant ainsi une perturbation du déroulement normal de la procédure devant le juge français.

 AUTEUR: BOUAGILA Cheinez- Juriste en droit international 

NOTES DE BAS DE PAGE:
[1] J. FOYER, JCP 1976. I. 2762. – V. crit. Ph. FRANCESCAKIS, Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international, Rev. crit. DIP 1975. 553
[2] Deux autres conventions internationales avaient les mêmes effets sur la règle de conflit de lois posée par l’article 309 :

-la Convention franco-polonaise du 5 avril 1967 relative à la loi applicable, la compétence et l’exequatur dans le droit des personnes et de la famille. Son article 8 prévoit que le divorce ou la séparation de corps est régi par la loi nationale commune des époux, ou, en cas de nationalités différentes, par la loi de l’État contractant sur lequel est fixé le domicile des époux, ou sur lequel a été fixé le dernier domicile des époux.

-la Convention franco-yougoslave du 18 mai 1971 relative à la loi applicable et à la compétence en matière de droit des personnes et de la famille. Son article 8 énonce que le divorce est régi par la loi nationale commune ; à défaut de nationalité commune, par la loi du domicile commun ou du dernier domicile commun.
[3]V.CA Paris, 1re ch., sect. C, 31 mai 2007, n° 06/03027

Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-18.571 

Cass. 1re civ., 17 déc. 2008, n° 07-18.851, n° 1263 F - P + B + I 

Cass. 1re civ., 14 janv. 2009, n° 08-10.205, n° 12 F - P + B 

Cass. 1re civ., 23 févr. 2011, n° 10-14.760, n° 203 F - P + B + I

V.Cass. 1re civ., 7 juin 2006, no 04-17.225,

Cass. 1re civ., 20 juin 2006, no 04-19.636,

Cass. 1re civ., 20 juin 2006, no 05-17.675,

Nb : Dans ces trois arrêts, deux époux de nationalité marocaine installés en France. L’un d’eux engage une procédure de divorce pour faute. Le divorce est prononcé par le juge français, sur le fondement de l’article 242 du Code civil. Dans les trois affaires, le pourvoi reproche à la cour d’appel d’avoir fait application du droit français, alors que la loi marocaine était seule applicable en vertu des dispositions combinées des articles 3 du Code civil et 9 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981. La première chambre civile casse alors les trois arrêts au motif que seule la loi marocaine était applicable, alors même que « les parties avaient invoqué l’application du droit français ».
[4] TPI Casablanca., 20 janv. 1994
[5] CA Paris, 12 janvier 1995 : dans cet arrêt la Cour d’Appel a affirmé la primauté de la nationalité française pour déterminer la loi applicable au divorce d’époux marocains naturalisés Français et demeurant en France.
[6] Définition de Rémy CABRILLAC : « Tactique consistant, dans un conflit privé international, à choisir la juridiction que l’on va saisir en fonction de la loi qu’elle va appliquer (ce qui revient à influer sur la loi applicable). Cette tactique est rendue possible par la diversité des règles de compétence juridictionnelle ».
[7]Cass. civ.1re, 28 oct. 2009, n° 08-17.637 : La Cour de cassation approuve la cour d'appel qui fait application de la loi française à un divorce introduit par une marocaine alors que le mari se présente dans la procédure comme étant de nationalité française.
[8] Sur la question du conflit mobile : V. P. COURBE, Divorce et conflit mobile, Mélanges D. Holleaux, 1990, Litec, p. 69 s
[9] Cass. 1re civ., 12 janvier 2011, n° 10-10.216
[10] Cass. Civ, 1ère, 28 juin 2005, n°00-15.734
[11]Cass.Com, 28 juin 2005, n°02-14.686
[12] Magistrats français, « Le nouveau code de la famille marocain-Rapport établi par des magistrats français à l’issue d’un voyage d’étude (du 19 au 29 juin 2007) sur l’application de cette législation », 2007, disponible sur : http://www.jafbase.fr/docMaghreb/EtudeDroitMarocain.pdf
[13] HAMMJE Petra, « Divorce et séparation de corps », in : Répertoire de droit international novembre 2018
[14] CA Douai, 19 janvier 2012